Percussions.org

François Kokelaere · Inscrit le: 24 May 2002 Messages: 336 Localisation: Planète Terre

Un très ancien jenbéfolaw m’a dit un jour…

Un très ancien jenbéfolaw (joueur de djembé, ndlr), perdu au fond d’une brousse improbable, m’a raconté un jour de drôles d’histoires…

Il m’a parlé du :

Pour lui, les deux blocages avaient une fonction radicalement différente :

- le premier, en l’air, laissait le rythme, la danse, le son, la « nourriture sonore » pour « les dieux », le « divin », « l’en haut », « le ciel »
- le second, sur le sol, « à terre », « dans la terre », laissait le rythme « aux hommes » et à leur contingence matérielle.

Lui, ce très ancien jenbéfolaw, perdu au fond d’une brousse improbable, terminait certains rythmes et notamment les binaires, « sur le sol » et les ternaires « en l’air » car, toujours pour lui,

- les rythmes binaires, carrés, verticaux, étaient ceux du travail, de la fête, du combat, de la contingence humaine, du « conditionnement », de l’extase collective

- les rythmes ternaires, ronds, "spiralés", étaient ceux qui reliaient l’homme au divin, ceux qui soignent la tête et le corps, ceux qui chassent les démons, ceux de l’extase spirituelle, ceux du rêve, et ceux là, ils ne fallaient jamais les terminer au sol, d’une part, pour ne pas « fâcher » les dieux et d’autre part, pour ne pas risquer de les « perdre ».

En les laissant «en l’air», « dans l’air », « dans le vent », ils continuaient à vivre et il serait très facile de les retrouver lors du prochain jeu de tambour, de la prochaine cérémonie. Il disait que les rythmes sont toujours là, depuis des millénaires, depuis la nuit des temps. Ils apparaissent au bon vouloir des dieux. Et c’est les hommes « éclairés », qui les traduisent en notes. Ils disent toujours la même chose mais déclinée de façon différente. Ils contiennent juste quelques « énergies » essentielles qui ont servi à construire le monde. Quelques rythmes simples, déclinés de mille et une façons différentes. Ils sont la racine fondamentale de tout être vivant.

Ce très ancien jenbéfolaw, perdu au fond d’une brousse improbable, parla aussi d’une histoire où le court moment où le rythme s’arrête, après le chauffé, serait une sorte de « trou», de « vide intemporel » dans l’espace temps où les hommes seraient en contact direct avec les dieux et leur destinée. Comme un moment d’éternité, comme ce « fameux silence après Mozart », ce moment d’éternité qui n’appartient qu’à lui-même. Que toute la danse, tout le rythme n’aurait de sens que dans l’utilité qu’ils auraient à préparer ce moment ?

- Il disait qu’on voyait ça dans le regard des femmes qui terminent une danse…
- Il disait aussi qu’il y a des djembés qui « parlent » et d’autres qui « bavardent ».

Il « parle » quand le jenbéfolaw reste « avec » le rythme et qu’il « se laisse faire par les dieux ». Ce sont alors les dieux qui parlent « à travers lui ». Il n’est qu’un canal, un outil, un vecteur pour la parole des dieux.
Un jenbéfolaw qui « parle » est un homme « vide » qui peut se laisser remplir de la parole des dieux. Il « bavarde » quand le jenbéfolaw s’égare, papote, babille, « bricole », se met en avant et parle de lui. Il se croit alors « plus malin « que les dieux. Il parle « comme un muet dont les lèvres bougent mais dont le son est absent ».

Un jenbéfolaw qui « bavarde » est un homme « plein », remplit de lui-même qui ne peut pas laisser passer la parole des dieux.

Il suffit de regarder les yeux du jenbéfolaw pour savoir « s’il dit la vérité » ou « s’il ment », s’il est « plein » ou « vide »…

- Ce très ancien jenbéfolaw, perdu au fond d’une brousse improbable, disait que sur les rythmes binaires et les danses profanes, cela n’était pas grave, c’était « histoires d’hommes », d’enfants et les hommes sont tellement bavards et aiment tellement se montrer, se faire voir, se glorifier, pour faire croire qu’ils sont l’égal des dieux.

- mais pour les rythmes ternaires, c’était très grave car si le jenbéfolaw ne respectait pas ces consignes, par défaut ou par orgueil, il pouvait « fâcher » les dieux et laisser la porte ouverte aux démons, pire, les attirer…

Il disait qu’il suffit de regarder les yeux d’un jenbéfolaw pour savoir s’il est habité par un démon. Ce très ancien jenbéfolaw, perdu au fond d’une brousse improbable, conclut en disant que c’est pour cela que beaucoup de jenbéfolaw sont fous, malades ou possédés par des démons car ils sont fâchés avec les dieux et les bons génies.

Ils mettent en mouvement les forces essentielles qui se cachent derrière les rythmes premiers, celles qui font entrer en résonance les hommes avec les dieux et tous les êtres vivants et non-vivants puis créent le chaos, la « désharmonie », la « pagaille », en ne respectant pas la règle du jeu. Ils trompent les hommes et se trompent eux-mêmes.

C’est pour cela qu’ils fascinent et ont tant d’ascendant sur les hommes et les femmes fragiles, sincères et généreux car ils sont un outil précieux pour les démons qui les utilisent comme vecteur de « désharmonie ».

C’est pour cela que beaucoup de jenbéfolaw ont recours aux féticheurs et aux forces occultes car ils doivent toujours se réconcilier avec les dieux ou pactiser avec les démons. Il disait aussi que ce n’était pas grave que les blancs jouent le djembé car chez les blancs aussi, l’histoire des hommes, des dieux et des démons, est la même.

Peut-être même chez tous les hommes de la terre? Ca, il ne pouvait pas le dire car il n’avait pas beaucoup voyagé.

Le djembé peut-il disparaître un jour ?

Peu importe, que le djembé disparaisse ou pas ! Tant qu’il y aura des hommes, des dieux et des démons, il y aura des tambours pour leur parler, pour soigner, pour relier et pour faire danser…

Ce très ancien jenbéfolaw, perdu au fond d’une brousse improbable, racontait de drôles d’histoires …

© 2007-2008 - François Kokelaere

Photo : éditorial et article © Audrey Guerrini / Collectif Emulsion - "Issou Traoré" - Banzon Secteur 3 (Burkina Faso). Ethnie : Toussian - Instrument : Macossa / Article : © DR. "Djembé de Séga Sidibé", provenant de la région du Wasulun (Mali)

Herve · Inscrit le: 07 Apr 2007 Messages: 66

Bonjour,
merci pour cette belle histoire François Kokelaere

J'aurai une demande à propos de ceci:

Nojan · Inscrit le: 10 Dec 2005 Messages: 221 Localisation: France

Un jenbéfolaw m'a toujours raconté de trés belles histoires, riches en émotions, lorsqu'il intervenait sur percussions.org.

Merci François.
Salutations musicales
Jean-Noël

Janpier · Inscrit le: 25 Jul 2002 Messages: 50 Localisation: Rouen

Comme bien souvent, François nous offre un peu de la sagesse des hommes. Une histoire à relire et à méditer.

Beng beng · Inscrit le: 26 Jun 2002 Messages: 130

Monsieur Kokelaere, pourriez vous nous donner le nom de ce vieux djembefola, ainsi que le nom du village (et de la région) où vous l'avez rencontré svp?

François Kokelaere · Posté le: 16 Jan 2008 20:13 Sujet du message:

Bonjour Beng Beng,

Tu veux tout savoir tout de suite mais désolé, ce n'est pas comme ça que ça marche...

Ce vieux djembefolaw est peut-être déjà sur ta route si tu dois le rencontrer mais plus tu le chercheras et moins tu le trouveras.

Alors bourlingue (les voyages forment la jeunesse), à travers la Haute-Guinée, la Moyenne Guinée, la Basse-Côte, la forêt, la Guinée de tes rêves, à travers le monde, à travers ton quartier et peut-être qu'un jour, tu rencontreras ce vieux djembefolaw en bas de chez toi, si tu dois le rencontrer.

Et puis si tu ne le rencontres jamais, c'est pas grave, retourne-toi, il était derrière toi!

Allez au boulot bande de feignants, pendant que vous pianotez sur votre ordinateur, vous n'êtes pas en train de vous casser les mains sur vos tambours. Alors qu'est-ce que vous attendez? Que la toile vous donne toutes les réponses? Bossez donc et arrêtez de lire les balivernes des vieux musiciens séniles et mythomanes..

Salut les fêlés du tam-tam, à plus...

Jordain2000 · Inscrit le: 06 Jun 2003 Messages: 179 Localisation: Lyon

François Kokelaere · Posté le: 16 Jan 2008 20:22 Sujet du message:

Merci à vous de lire ce genre de belles histoires. Les lire, c'est un peu déjà y croire...

Beng beng · Inscrit le: 26 Jun 2002 Messages: 130

Bon, j'avoue, j'ai mal posé ma question.
En fait je voudrais savoir si ce "vieux djembefola, d'une brousse improbable" existe, ou s'il est le fruit de ton imagination, utilisé pour un simple effet réthorique. Ne serait-il qu'un artéfact, qui amène ton discours, ou cette rencontre a-t-elle vraiment eu lieu ?

François Kokelaere · Posté le: 17 Jan 2008 17:25 Sujet du message:

Si tu te poses la question, c'est déjà que tu doutes alors, tu ne pourras pas le rencontrer...

Pour le rencontrer, il faut y croire et ne pas le chercher...

Essaie seulement de vérifier par toi-même ce qui est écrit dans cette histoire alors, tu sauras s'il existe vraiment ou pas.
Ce qu'il dit, n'est pas très important, ce ne sont que des paroles donc du vent mais peut-être que ce qui est plus important, c'est ce qu'évoquent ces mots en toi. Résonnent-ils, trouvent-ils un passage dans l'anti spams programmé de ton cerveau bien organisé ou les réfutes-tu en bloc?

Si tu trouvais un jour, un petit caillou blanc sur le chemin et que tu voyais qu'il y en a plein d'autres qui mènent quelque part, que ferais-tu?
Tu rigolerais en le recouvrant de terre ou suivrais-tu le chemin tracé par ces petits cailloux blancs?
Si par hasard, tu suivais la piste tracée par ces petits cailloux blancs et que tu t'apercoives au bout d'un long moment (car tu es courageux) qu'elle mène nulle part, qu'en penserais-tu?

Que penserais-tu? Que tu as été trompé, qu'il n'y a pas de chemin, que les cailloux blancs étaient là par hasard, à quoi sert de tracer un chemin s'il mène à une impasse ou à mille et une autres choses...

Qu'est-ce qui est important? Les cailloux blancs, l'impasse, le chemin?