Percussions.org

[Fran�ois Kokelaere]

Un tr�s ancien jenb�folaw m�a dit un jour�

Un tr�s ancien jenb�folaw (joueur de djemb�, ndlr), perdu au fond d�une brousse improbable, m�a racont� un jour de dr�les d�histoires�

Il m�a parl� du :

- blocage ouvert, c'est-�-dire, celui o� le phras� s�arr�te � en l�air �
- et du blocage ferm�, celui o� le phras� s�arr�te sur le temps, � dans le sol �

Pour lui, les deux blocages avaient une fonction radicalement diff�rente :

- le premier, en l�air, laissait le rythme, la danse, le son, la � nourriture sonore � pour � les dieux �, le � divin �, � l�en haut �, � le ciel �
- le second, sur le sol, � � terre �, � dans la terre �, laissait le rythme � aux hommes � et � leur contingence mat�rielle.

Lui, ce tr�s ancien jenb�folaw, perdu au fond d�une brousse improbable, terminait certains rythmes et notamment les binaires, � sur le sol � et les ternaires � en l�air � car, toujours pour lui,

- les rythmes binaires, carr�s, verticaux, �taient ceux du travail, de la f�te, du combat, de la contingence humaine, du � conditionnement �, de l�extase collective

- les rythmes ternaires, ronds, "spiral�s", �taient ceux qui reliaient l�homme au divin, ceux qui soignent la t�te et le corps, ceux qui chassent les d�mons, ceux de l�extase spirituelle, ceux du r�ve, et ceux l�, ils ne fallaient jamais les terminer au sol, d�une part, pour ne pas � f�cher � les dieux et d�autre part, pour ne pas risquer de les � perdre �.

En les laissant �en l�air�, � dans l�air �, � dans le vent �, ils continuaient � vivre et il serait tr�s facile de les retrouver lors du prochain jeu de tambour, de la prochaine c�r�monie. Il disait que les rythmes sont toujours l�, depuis des mill�naires, depuis la nuit des temps. Ils apparaissent au bon vouloir des dieux. Et c�est les hommes � �clair�s �, qui les traduisent en notes. Ils disent toujours la m�me chose mais d�clin�e de fa�on diff�rente. Ils contiennent juste quelques � �nergies � essentielles qui ont servi � construire le monde. Quelques rythmes simples, d�clin�s de mille et une fa�ons diff�rentes. Ils sont la racine fondamentale de tout �tre vivant.

Ce tr�s ancien jenb�folaw, perdu au fond d�une brousse improbable, parla aussi d�une histoire o� le court moment o� le rythme s�arr�te, apr�s le chauff�, serait une sorte de � trou�, de � vide intemporel � dans l�espace temps o� les hommes seraient en contact direct avec les dieux et leur destin�e. Comme un moment d��ternit�, comme ce � fameux silence apr�s Mozart �, ce moment d��ternit� qui n�appartient qu�� lui-m�me. Que toute la danse, tout le rythme n�aurait de sens que dans l�utilit� qu�ils auraient � pr�parer ce moment ?

- Il disait qu�on voyait �a dans le regard des femmes qui terminent une danse�
- Il disait aussi qu�il y a des djemb�s qui � parlent � et d�autres qui � bavardent �.

Il � parle � quand le jenb�folaw reste � avec � le rythme et qu�il � se laisse faire par les dieux �. Ce sont alors les dieux qui parlent � � travers lui �. Il n�est qu�un canal, un outil, un vecteur pour la parole des dieux.
Un jenb�folaw qui � parle � est un homme � vide � qui peut se laisser remplir de la parole des dieux. Il � bavarde � quand le jenb�folaw s��gare, papote, babille, � bricole �, se met en avant et parle de lui. Il se croit alors � plus malin � que les dieux. Il parle � comme un muet dont les l�vres bougent mais dont le son est absent �.



Un jenb�folaw qui � bavarde � est un homme � plein �, remplit de lui-m�me qui ne peut pas laisser passer la parole des dieux.

Il suffit de regarder les yeux du jenb�folaw pour savoir � s�il dit la v�rit� � ou � s�il ment �, s�il est � plein � ou � vide ��

- Ce tr�s ancien jenb�folaw, perdu au fond d�une brousse improbable, disait que sur les rythmes binaires et les danses profanes, cela n��tait pas grave, c��tait � histoires d�hommes �, d�enfants et les hommes sont tellement bavards et aiment tellement se montrer, se faire voir, se glorifier, pour faire croire qu�ils sont l��gal des dieux.

- mais pour les rythmes ternaires, c��tait tr�s grave car si le jenb�folaw ne respectait pas ces consignes, par d�faut ou par orgueil, il pouvait � f�cher � les dieux et laisser la porte ouverte aux d�mons, pire, les attirer�

Il disait qu�il suffit de regarder les yeux d�un jenb�folaw pour savoir s�il est habit� par un d�mon. Ce tr�s ancien jenb�folaw, perdu au fond d�une brousse improbable, conclut en disant que c�est pour cela que beaucoup de jenb�folaw sont fous, malades ou poss�d�s par des d�mons car ils sont f�ch�s avec les dieux et les bons g�nies.

Ils mettent en mouvement les forces essentielles qui se cachent derri�re les rythmes premiers, celles qui font entrer en r�sonance les hommes avec les dieux et tous les �tres vivants et non-vivants puis cr�ent le chaos, la � d�sharmonie �, la � pagaille �, en ne respectant pas la r�gle du jeu. Ils trompent les hommes et se trompent eux-m�mes.

C�est pour cela qu�ils fascinent et ont tant d�ascendant sur les hommes et les femmes fragiles, sinc�res et g�n�reux car ils sont un outil pr�cieux pour les d�mons qui les utilisent comme vecteur de � d�sharmonie �.

C�est pour cela que beaucoup de jenb�folaw ont recours aux f�ticheurs et aux forces occultes car ils doivent toujours se r�concilier avec les dieux ou pactiser avec les d�mons. Il disait aussi que ce n��tait pas grave que les blancs jouent le djemb� car chez les blancs aussi, l�histoire des hommes, des dieux et des d�mons, est la m�me.

Peut-�tre m�me chez tous les hommes de la terre? Ca, il ne pouvait pas le dire car il n�avait pas beaucoup voyag�.

Le djemb� peut-il dispara�tre un jour ?

Peu importe, que le djemb� disparaisse ou pas ! Tant qu�il y aura des hommes, des dieux et des d�mons, il y aura des tambours pour leur parler, pour soigner, pour relier et pour faire danser�

Ce tr�s ancien jenb�folaw, perdu au fond d�une brousse improbable, racontait de dr�les d�histoires �

� 2007-2008 - Fran�ois Kokelaere


Photo : �ditorial et article � Audrey Guerrini / Collectif Emulsion - "Issou Traor�" - Banzon Secteur 3 (Burkina Faso). Ethnie : Toussian - Instrument : Macossa / Article : � DR. "Djemb� de S�ga Sidib�", provenant de la r�gion du Wasulun (Mali)

[Herve]

Bonjour,
merci pour cette belle histoire Fran�ois Kokelaere

J'aurai une demande � propos de ceci:

[Nojan]

Un jenb�folaw m'a toujours racont� de tr�s belles histoires, riches en �motions, lorsqu'il intervenait sur percussions.org.

Merci Fran�ois.
Salutations musicales
Jean-No�l

[Janpier]

Comme bien souvent, Fran�ois nous offre un peu de la sagesse des hommes. Une histoire � relire et � m�diter.

[Beng beng]

Monsieur Kokelaere, pourriez vous nous donner le nom de ce vieux djembefola, ainsi que le nom du village (et de la r�gion) o� vous l'avez rencontr� svp?

[Fran�ois Kokelaere]

Bonjour Beng Beng,

Tu veux tout savoir tout de suite mais d�sol�, ce n'est pas comme �a que �a marche...

Ce vieux djembefolaw est peut-�tre d�j� sur ta route si tu dois le rencontrer mais plus tu le chercheras et moins tu le trouveras.

Alors bourlingue (les voyages forment la jeunesse), � travers la Haute-Guin�e, la Moyenne Guin�e, la Basse-C�te, la for�t, la Guin�e de tes r�ves, � travers le monde, � travers ton quartier et peut-�tre qu'un jour, tu rencontreras ce vieux djembefolaw en bas de chez toi, si tu dois le rencontrer.

Et puis si tu ne le rencontres jamais, c'est pas grave, retourne-toi, il �tait derri�re toi!

Allez au boulot bande de feignants, pendant que vous pianotez sur votre ordinateur, vous n'�tes pas en train de vous casser les mains sur vos tambours. Alors qu'est-ce que vous attendez? Que la toile vous donne toutes les r�ponses? Bossez donc et arr�tez de lire les balivernes des vieux musiciens s�niles et mythomanes..

Salut les f�l�s du tam-tam, � plus...

[Jordain2000]

[Fran�ois Kokelaere]

Merci � vous de lire ce genre de belles histoires. Les lire, c'est un peu d�j� y croire...

[Beng beng]

Bon, j'avoue, j'ai mal pos� ma question.
En fait je voudrais savoir si ce "vieux djembefola, d'une brousse improbable" existe, ou s'il est le fruit de ton imagination, utilis� pour un simple effet r�thorique. Ne serait-il qu'un art�fact, qui am�ne ton discours, ou cette rencontre a-t-elle vraiment eu lieu ?

[Fran�ois Kokelaere]

Si tu te poses la question, c'est d�j� que tu doutes alors, tu ne pourras pas le rencontrer...

Pour le rencontrer, il faut y croire et ne pas le chercher...

Essaie seulement de v�rifier par toi-m�me ce qui est �crit dans cette histoire alors, tu sauras s'il existe vraiment ou pas.
Ce qu'il dit, n'est pas tr�s important, ce ne sont que des paroles donc du vent mais peut-�tre que ce qui est plus important, c'est ce qu'�voquent ces mots en toi. R�sonnent-ils, trouvent-ils un passage dans l'anti spams programm� de ton cerveau bien organis� ou les r�futes-tu en bloc?

Si tu trouvais un jour, un petit caillou blanc sur le chemin et que tu voyais qu'il y en a plein d'autres qui m�nent quelque part, que ferais-tu?
Tu rigolerais en le recouvrant de terre ou suivrais-tu le chemin trac� par ces petits cailloux blancs?
Si par hasard, tu suivais la piste trac�e par ces petits cailloux blancs et que tu t'apercoives au bout d'un long moment (car tu es courageux) qu'elle m�ne nulle part, qu'en penserais-tu?

Que penserais-tu? Que tu as �t� tromp�, qu'il n'y a pas de chemin, que les cailloux blancs �taient l� par hasard, � quoi sert de tracer un chemin s'il m�ne � une impasse ou � mille et une autres choses...

Qu'est-ce qui est important? Les cailloux blancs, l'impasse, le chemin?