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François Kokelaere
Inscrit le: 24 May 2002 Messages: 355 Localisation: Planète Terre
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Posté le: 01 Feb 2011 11:29 Sujet du message: L'Afrique dans le berimbau de la capoeira |
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Hypothèse de travail ou digression poétique ?
Une des premières représentations d’un arc musical au Brésil est la gravure de Paul Harro-Harring qu’il réalisa en 1840 à Rio de Janeiro où l’on voit un homme qui joue d’un arc musical accompagné d’un lamellophone ; ces instruments ressemblent trait pour trait à l’Umuduri et à l’Ikembé joués dans la région des grands lacs entre Burundi et Rwanda en Afrique australe.
La musique jouée avec l’Umuduri en Afrique est une musique ternaire (Musique du Rwanda – Fonti Musicali) alors que la musique de Capoeira est uniquement binaire. Pourtant la musique ternaire d’origine africaine est bien présente au Brésil avec les cultes afro-cubains tels la Macumba, la Batuque, le Candomblé. En Afrique, dans la région des grands lacs, cette musique ne paraît pas liée à une danse de combat. L’Umuduri accompagne des chants. Sachant que ces danses de combat sont très nombreuses en Afrique, il est fort probable que les deux entités distinctes, arc musical et danse de combat, se sont spécifiquement associées au Brésil.
Le mouvement binaire du rythme de la Capoeira induit la verticalité ou l’horizontalité du mouvement de combat, du coup porté et repris ; le combat est carré alors que le mouvement du rythme ternaire est rond. Le rythme binaire est donc le plus approprié pour le combat alors que le ternaire tend à l’extase, antithèse du combat. Le combattant se doit de tout contrôler au risque de se faire battre quand le danseur peut s’abandonner à la transe.
De plus, il est bon de savoir, que le premier instrument utilisé pour accompagner la Capoeira fut le tambour militaire (selon un article de Antonio Liberac). Le berimbau n’arrivant que bien après.
Par définition, le rythme militaire est binaire et même très binaire…
« Le rythme musical au 19ème siècle était le rythme militaire : les capoeiras étaient placés en avant des cortèges militaires, criant et sautant – contrairement à ce que l'on raconte aujourd'hui, les capoeiras faisaient déjà des acrobaties à cette époque, ce n'est pas une nouveauté du 20ème siècle – et ils faisaient l'animation du cortège. Le rythme était donc très martial, un rythme basiquement militaire avec ses roulements de tambours. »
Mais il saute aux yeux que la Capoeira, même si la pulsation est binaire, n’est pas si carrée que ça. Elle est même très souvent ronde. De nombreux mouvements sont liés à une circularité. Faut-il y voir le souvenir d’une Afrique oubliée ?
Le premier musicien africain qui a joué l’arc musical au Brésil ne pouvait ignorer le rythme ternaire. Il y a même fort à parier, qu’il le jouait le plus souvent. Alors comment et pourquoi le rythme de la Capoeira est-il binaire et carré ?
Parce qu’il était basé sur le rythme du tambour militaire et que ce rythme binaire convient bien au combat. Si l’arc s’est mis à accompagner le danseur qui réalisait ses mouvements de combat alors, il a dû s’adapter à la rythmique binaire du tambour militaire. La volonté de combattre de l’esclave était plus forte que son envie de danser.
Mais il saute aux yeux que la Capoeira, même si la pulsation est binaire, n’est pas si carrée que ça. Elle est même très souvent ronde. De nombreux mouvements sont liés à une circularité. Faut-il y voir le souvenir d’une Afrique oubliée ?
Ce qui est troublant dans les danses de combats africaines, encore bien vivaces aujourd’hui, c’est qu’elles utilisent des rythmes entraînants et enjoués qui motivent les combattants. Il en est de même pour les rythmes qui accompagnent le travail. Alors comment expliquer, le rythme lent et lancinant de la Capoeira Angola, qui pourrait aisément basculer dans le ternaire ?
N’est-ce pas là, la première rencontre de l’Umuduri et de la danse au Brésil ?
Un musicien originaire de la région des grands lacs, qui joue une musique ternaire lente et un danseur issu d’une autre région, qui y associe une danse de combat ?
N’est-ce pas pour cela que la Capoeira Angola s’apparente plus à la danse qu’à un combat ? N’est-ce ce pas pour cela qu’elle apparaît comme plus traditionnelle et comme plus africaine par rapport à la Capoeira Regional, plus axée sur le combat et l’efficacité ?
Si l’arc s’est mis à accompagner le danseur qui réalisait ses mouvements de combat alors, il a dû s’adapter à la rythmique binaire du tambour militaire. La volonté de combattre de l’esclave était plus forte que son envie de danser. Car si, dans un autre contexte, la velléité du danseur n’avait pas été de combattre, c’est le danseur qui aurait dansé sur la musique de l’arc, il aurait alors dansé en ternaire et la Capoeira n’aurait peut-être jamais existé… Ce ne serait qu’une danse afro sud-américaine de plus ! Si c’était aussi simple… mais parfois le poète montre la voie au scientifique.
L’Afrique dans le berimbau
Si l’Afrique n’est pas présente dans la Capoeira à travers ses rythmes, et au-delà de l’instrument lui-même si proche de l’Umuduri, elle l’est de façon flagrante dans le jeu propre du berimbau dans la Capoeira.
La « sonnaille », son que l’on obtient en frottant légèrement le galet (ou la pièce métallique) sur la corde, tient de la même logique que le Sèssè du djembé par exemple ou du « mirlitonnage » des calebasses du balafon.
Les sèssè du djembé sont ces résonateurs qui ressemblent à des oreilles placés sur le bord du djembé, constitués de plaque de tôle sur lesquelles sont ajoutées des petits morceaux de fil de fer qui prolongent le son de la peau du tambour avec une résonance métallique.
Quant aux calebasses du balafon qui lui servent de résonateur, elles sont percées de petits trous, recouverts anciennement de toile d’araignée, aujourd’hui de papier à cigarettes, et qui, elles aussi, prolongent le son de la lame de bois d’un grésillement caractéristique. Ce prolongement « grésillant » dans les aigus, ne peut être dissocié de la perception globale du monde relié à une cosmogonie en Afrique.
On retrouve souvent l’idée que les notes graves, les basses sont reliées à la terre, les notes aiguës au divin et les médiums, à l’homme, intercesseur entre le haut et le bas, la terre et le ciel. Et même si on ne peut pas généraliser cette trilogie qui change selon les régions et les ethnies, la constante est que la musique est reliée en Afrique à une vision plus globale du monde.
En Afrique, et pas seulement en Afrique de l’Ouest, le son n’est jamais pensé unique et propre comme en Occident. Il est davantage perçu comme plus complexe et le résultat d’un savant équilibre en un son « propre » - le son de la peau pour le tambour ou de la lame pour le balafon – et un son « sale », résultat des résonateurs pour le djembé ou du mirlitonnage pour le balafon. Très proches et complémentaires de cette logique, les notes « fantômes », les touchers du djembé, les notes retenues du balafon, sont autant de finesses, de délicatesses, qui vont compléter le rythme et induire son « groove » spécifique.
Là où l’Occident cherche la note parfaite, la note la plus « droite », la plus pure possible, la plus « belle », le tempo le plus régulier, l’Afrique cherche la complémentarité, l’espace qui se trouve entre le beau et le sale, le droit et le courbe, l’élasticité du tempo.
Toutes ces données se retrouvent dans le son même de la sonnaille du berimbau et dans la retenue qu’elle induit dans le rythme :
- La sonnaille rappelle inéluctablement le son grésillant
- Le ralenti de son jeu rappelle l’élasticité du tempo africain
- Les petits touchers du galet sur la corde rappellent les touchers du djembé, les notes retenues du balafon
En conclusion, l’Afrique n’est pas seulement présente dans l’origine historique et "facturale" du berimbau, elle l’est à tous moments dans son jeu. Les musiciens qui jouent le berimbau et qui accompagnent la capoeira, auraient tout à gagner à s’intéresser à la dimension « ternaire » de leur instrument, à son essence africaine. Ils découvriraient « un autre monde », une rondeur qui les relieraient à l’origine et à la dimension ancienne de cet arc musical merveilleux qui est devenu, au début du siècle dernier dans la région de Salvador de Bahia au Brésil, le berimbau que nous connaissons aujourd’hui.
© 2011 - François Kokelaere
Site : http://www.heureduthe.com
Bio : François Kokelaere a étudié au Brésil avec le maître Sombra de l’académie de Capoeira Sanzala de Santos et a enregistré un disque consacré au berimbau « L’art du berimbau » - Buda Musique. Il a créé et dirigé, entre autres, l’Ensemble National des Percussions de Guinée. |
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Mais qui est François Kokelaere ?
Description : Berimbau (arc musical brésilien)
Vu : 16680 fois - Taille du fichier : 47.98 Ko
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Description : Arc musical. Par Paul Harro-Harring (1798-1870)
Vu : 16682 fois - Taille du fichier : 44.55 Ko
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Marco31
Inscrit le: 19 Nov 2008 Messages: 146
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Posté le: 01 Feb 2011 15:20 Sujet du message: |
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Merci et bravo pour cet article riche en enseignements.
Une question : l'arc en bouche (ou arc à bouche ou mougongo) gabonais ne peut il pas être considéré comme un "ancêtre" du berimbau ?
On y retrouve en effet les principes de fonctionnement de l'arc brésilien :
- une "corde" (dénomination générale car cela peut être du fil de fer ou une liane) frappée à l'aide d'une baguette
- le "dobrao" (la pierre du berimbau brésilien) remplacé dans l'arc en bouche par un bâton
- la caisse de résonance : calebasse dans le berimbau, cavité buccale pour l'arc en bouche
Pour illustrer :
Arc en bouche traditionnel africain (Mougongo) :
http://www.youtube.com/watch?v=grXOn3QWYGk
Umuduri (Afrique du Sud) :
http://www.youtube.com/watch?v=Q9iIXnP1UBY |
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Jimmy B
Inscrit le: 12 May 2002 Messages: 2948 Localisation: Rhythm Land
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Posté le: 01 Feb 2011 16:57 Sujet du message: |
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Marco31 a écrit: | Merci et bravo pour cet article riche en enseignements.
Une question : l'arc en bouche (ou arc à bouche ou mougongo) gabonais ne peut il pas être considéré comme un "ancêtre" du berimbau ?
On y retrouve en effet les principes de fonctionnement de l'arc brésilien :
- une "corde" (dénomination générale car cela peut être du fil de fer ou une liane) frappée à l'aide d'une baguette
- le "dobrao" (la pierre du berimbau brésilien) remplacé dans l'arc en bouche par un bâton
- la caisse de résonance : calebasse dans le berimbau, cavité buccale pour l'arc en bouche
Pour illustrer :
Arc en bouche traditionnel africain (Mougongo) :
http://www.youtube.com/watch?v=grXOn3QWYGk
Umuduri (Afrique du Sud) :
http://www.youtube.com/watch?v=Q9iIXnP1UBY |
Bonjour Marco,
En attendant la réponse de François, je t'invite à télécharger un document très riche sur le sujet « The Berimbau-de-barriga And its toques », Kay Shaffer, 1977 English translation: Shayna McHugh, 20071 via le lien http://bit.ly/dTbZSW / un document en PDF de 40 pages avec partitions, qui complétera bien le savoureux propos de l'article précédant.
Bon rythme ! |
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François Kokelaere
Inscrit le: 24 May 2002 Messages: 355 Localisation: Planète Terre
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Posté le: 02 Feb 2011 11:45 Sujet du message: |
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C’est exactement cela Jimmy, j’allais orienter notre ami sur l’ouvrage de Kay Shaffer, très complet et qui parle des différents arcs musicaux africains.
J’ai la version originale du texte en portugais que m’avait donnée Maître Sombra au Brésil, mon professeur, en 1982, mais de mauvaise qualité (photocopie).
Qu’est-ce qui nous fait dire que l’umuduri de la région des grands lacs en Afrique australe est le plus proche parent du berimbau du Brésil c’est :
- sa fabrication très proche :
* une corde que l’on tend sur un bout de bois à peu près de même taille
* une calebasse qui sert de caisse de résonance
* une baguette pour faire vibrer la corde
* un hochet dans la main qui tient la baguette
Petites différences :
* la corde est poussée par le doigt sur l’umuduri alors qu’elle l’est par un galet ou une pièce métallique sur le berimbau
* le hochet est une petite calebasse remplie de graines, tenue vers le haut avec l’umuduri alors qu’il s’agit d’un panier tressé pour le berimbau tenu vers le bas
- d’autre part, la gravure mentionnée dans l’article, réalisée au Brésil, nous montre un homme qui joue d’un arc, très proche de l’umuduri et accompagné d’un joueur de lamellophone. Il se trouve que dans la région des grands lacs, les deux instruments sont souvent associés. Ce qui renforce encore la présomption de l’origine du berimbau.
Evidemment, nous n’y étions pas et nous ne pouvons donc que supposer. Mais le faisceau de présomptions va dans ce sens.
Merci de vous intéresser à l'arc musical et bonne musique. |
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Mais qui est François Kokelaere ?
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François Kokelaere
Inscrit le: 24 May 2002 Messages: 355 Localisation: Planète Terre
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Nikko
Inscrit le: 24 Oct 2004 Messages: 571 Localisation: Corse
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Posté le: 02 Feb 2011 18:50 Sujet du message: |
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Bonjour
Merci François pour ce passionnant article qui me donne envie de ressortir mon berimbau ! |
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Stay in Groove!
Nikko
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Marco31
Inscrit le: 19 Nov 2008 Messages: 146
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Posté le: 03 Feb 2011 13:07 Sujet du message: |
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Merci François et Jimmy pour vos précisions |
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kilakila
Inscrit le: 20 Mar 2008 Messages: 10 Localisation: rennes
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Posté le: 03 Feb 2011 13:22 Sujet du message: arc musicaux |
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bonjour à tous ,
et merci à francois pour cet article tres documenté.
J'ai eu l'occasion lors de voyages, de rencontrer le moringue, une danse de combat rythmée d'un arc musical à la Réunion, le bob, et de découvrir des instruments Seychellois, comme le zez ou le bom, d'autres arcs musicaux qui je crois sont ou étaient utilisés lors de danses s'apparentant aux combats.
Aux seychelles, meme au ministère de la culture, on a pu me fournir que tres peu d'infos sur l'histoire de ces musiques, qui je pense se perdent un peu aujourd'hui.
Est ce qq pourrai nous renseigner sur ces instruments, ces cultures qui je pense , s'aparentent beaucoup à tout ce qui à été écris plus haut.
Merci d'avance
Ju |
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KILA KILA KILA KILA KILA KILA KILA KILA KILA
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blackbee045
Inscrit le: 17 Oct 2014 Messages: 1
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Posté le: 17 Oct 2014 5:56 Sujet du message: |
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Un autre article passionnant et "déroutant" de Antonio Liberac à propos de la Capoeira au 19ème siècle, qui nous apprend que l'instrument utilisé au début de la Capoeira au Brésil, n'était pas le berimbau mais bien, le tambour militaire.??? |
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