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2010 - La réalisation du djembé

 
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François Kokelaere
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MessagePosté le: 26 Sep 2001 7:52    Sujet du message: 2010 - La réalisation du djembé Répondre en citant

Le 04/09/2001 dans l'avion entre Paris et San José
pour aller retrouver Wofa en tournée aux USA.


Le djembé n'est pas encore devenu un instrument de musique à part entière car il reste cantonné dans la tête des batteurs à l'accompagnement de la danse.

Je voudrais revenir ici sur une discussion que nous avons entamé rapidement avec Bruno Genero qui était de passage à Tournai en Belgique en Août, ce qui nous a permis avec Fatouabou lors de notre séjour dans le Nord d'aller le saluer. Il y participe depuis des années à l'un des plus importants stages de percussions européens. «I maestro» me soutenait que le djembé est bien loin d'avoir pris toute sa dimension musicale et je voudrais rebondir sur cette affirmation qui dérange !

En concert, le djembé reste cantonné à son rapport à la danse. Les djembéfolas jouent comme s'ils accompagnaient la danse. Ce qui donne ce jeu si décousu, avec si peu de construction ou progression musicales, parsemé de «fla», de trous, de rupture, de traits de virtuosité gratuits et qui les entraînent inéluctablement vers une surenchère de la valorisation de leur ego. Dès que le djembé est orphelin de la danse, il devient stérile. La raison principale en est (et c'est un avis bien personnel) que les grands ténors du djembé mondial sont avant tout des batteurs de ballets qui ont passé leur vie à battre pour la danse mais qui ne sont pas des musiciens, au sens où nous pouvons l'entendre en Europe. Un autre constat révélateur de cette situation est que les nuances musicales comme les montées et les descentes de volume - crescendo, decrescendo, les nuances de jeu - forte, piano - sont absentes de la plupart des disques de percussion, les quelques diminuendi que l'ont peut entendre sont joués pour valoriser les chœurs des griottes mais restent inconnus des concerts de tam-tam.

Est-ce à dire que les joueurs de djembé sont des brutes épaisses qui ne pensent qu'à frapper le bestiau, à jouer le plus fort possible, à montrer leurs gros bras, à séduire les minettes, à rouler plus vite que leur ombre et à faire les malins sur une scène? Si cette image n'était pas quelque peu caricaturale, je ne serai pas loin de le penser... Mais ce n'est pas si simple. Un joueur de djembé qui maîtrise l'art de la polyrythmie a de toutes façons développé un incroyable sens de l'écoute, une «oreille» redoutable qui lui permet de prendre instantanément ou presque, à la «volée», un accompagnement ou un rythme, il a de toutes façons un «fond culturel» qui lui permet de comprendre très rapidement ce qu'il a à jouer, le problème n'est pas là, tout vient de sa formation, de sa culture, de son histoire et de son éducation musicale. Le djembé, dans sa fonction d'accompagnateur de la danse, doit plus ou moins «coller» au pas de danse ou en tout cas, il se doit de réagir à la proposition du danseur.

Dans le domaine traditionnel, la plupart des relations entre le danseur et le batteur sont :

    - dans un premier temps: prise de contact, évaluation des capacités de chacun
    - dans un deuxième temps: jeu, provocation, séduction, blague, démonstration de sa virtuosité ou de sa créativité
    - dans un troisième temps: chauffé et blocage


Dans le domaine du ballet

Dans le domaine du ballet néo-traditionnel on retrouve au sein de la mise en scène les deuxième et troisième temps. L'autre fonction du batteur sera de jouer les arrangements qui sont dans la plupart des cas, des traits de virtuosité joués à l'unisson, d'accompagner ou de faire un solo.

Les quelques fois où l'on demande à un artiste de jouer seul dans un spectacle ou un concert par exemple, on peut constater qu'il jouera (le plus souvent) toujours la même chose. Il construit son solo une bonne fois pour toute puis n'en bouge plus. Même chose dans les soli au sein d'un arrangement. Après plusieurs années passées à diriger les Percussions de Guinée et Wofa, j'ai pu constater soir après soir, spectacle après spectacle, répétition après répétition, que les soli qu'effectuaient les artistes étaient toujours les mêmes, avec tellement peu d'innovation et quasiment jamais ou si peu d'improvisation. Ils étaient établis au départ, ce qui permettait une redoutable régularité mais constituait un bien piètre rendement créatif.

Un des seuls, à ma connaissance, à faire exception à la règle est Adama Dramé qui lors de ses prestations en solo, jouait vraiment le jeu de l'improvisation et «laissait venir» ce qui lui passait par la tête. Le fait qu'il ne soit pas un pur produit du ballet y est peut-être pour quelque chose? Seul sur la scène, Adama Dramé avait tout le loisir de développer ses idées sans être limité ni par d'autres, ni par le temps.

Dans le ballet, il en est de même; pas le temps de développer quoi que ce soit. Il faut tout de suite être efficace et gare à celui qui prendra son temps; on lui reprochera de vouloir se valoriser, de vouloir «s'imposer»! Le rôle demandé au batteur de ballet est un rôle anti-musical par excellence, il est programmé pour ne pas se laisser aller, pour en quelque sorte «ne pas faire de musique» mais pour être fonctionnel, efficace. Il doit porter la danse, jouer les arrangements, accompagner et venir faire son numéro de virtuose à l'avant-scène avec force geste et virtuosité. Pour le plus grand bonheur du public !

Si on entend le fait de «faire de la musique» comme l'argumentation d'un discours musical qui sous-entend une construction avec une progression faite d'exposition de thèmes, de développements, d'un contenu et d'un lyrisme personnel alors le joueur de djembé de ballet est davantage un «faiseur» de son dont la fonction première est de soutenir la danse et de faire montre de virtuosité et de spectaculaire. Il est bien sûr musicien par le fait qu'il joue un instrument de musique et qu'il pratique une musique qui a aussi ses propres codes et ses propres règles mais sa pratique est souvent incompatible avec d'autres pratiques musicales et artistiques.

C'est ainsi que le djembé s'est fait prendre à son propre piège et que la jeune génération abonde dans ce sens. Le djembé s'est laissé enfermer dans le contexte du ballet avec danse ou sans danse, sans développer d'autres pratiques et la réussite actuelle des plus grands djembéfolas eux-mêmes, purs produits du ballet néo-traditionnel, n'est pas faite pour arranger les choses. On copie aujourd'hui dans les rues de Conakry, d'Abidjan, de Bamako et de Dakar leurs phrases, leurs arrangements et la jeunesse africaine pense qu'il suffit de jouer encore plus vite et encore plus fort pour devenir leur égal. Comme d'habitude, les premiers responsables sont les consommateurs occidentaux qui en redemandent, qui érigent en star la première jeune brute venue qui les bluffera de sa rapidité, qui établit une hiérarchie comme si l'art du djembé était un sport de vitesse où la compétition fait foi.

C'est à l'évidence un piège et une impasse car cette façon de faire se limite à un public féru d'un certain exotisme pervers qui cantonne le joueur de djembé africain dans son rôle de bellâtre un peu primaire car trop souvent illettré ou analphabète, de séducteur et de virtuose comme si ce même musicien n'avait pas à aller sur le terrain de la musicalité, de la sensibilité et de la réflexion artistique réservé aux occidentaux ? Il idolâtre, il statufie, un homme qui le plus souvent n'a ni l'expérience, ni la formation, ni les outils intellectuels, pour assumer le rôle qu'on lui demande de jouer.

Ce djembéfola de ballet est dans la représentation, dans le paraître, bien peu dans «l'être». Il est rarement lui-même car enfermé par sa propre image, son propre reflet.

Le problème majeur est que l'enseignement du djembé se fait, dans la plupart des cas, dans le sens de la réduction du propos musical et nous voyons apparaître une pléthore de très bons joueurs européens qui connaissent des dizaines de rythmes, de phrases, de plans, d'accompagnements mais qui ne «disent» rien. Qui récitent des choses apprises par c|ur lors de stage et de cours vidés de tout contenu musical et culturel.

A l'instar de l'instrument lui-même, qui ancestralement pouvait «parler», c'est à dire imiter la modulation du langage et qui a perdu ce savoir faire avec l'obligation métrique des ballets, le joueur de djembé contemporain n'a «rien à dire». Sa parole est vide de sens, vide de contenu,
il en devient même orphelin d'une danse elle aussi si caricaturée. Il n'est pas rare dans les rues de Conakry, de voir aujourd'hui de jeunes djembéfola nous saouler de rafales de notes sans même jeter un |il sur la danseuse qu'ils sont censés accompagner (cela arrive d'ailleurs aussi en spectacle...).

Ne parlons même pas de la façon de mettre en scène le djembé, de le mettre en spectacle ou en concert. Là, c'est carrément «la cour des miracles», l'absence des moindres connaissances de base de la tenue sur scène (le plus courant est le costume bariolé qui fait référence aux
couleurs nationales et à la culture rastafiarianne comme si l'artiste voulait par une surenchère vestimentaire affirmer son identité...), des fondamentaux du théâtre à l'italienne, comme si les joueurs de djembé étaient les parents pauvres de la scène, des acculturés de la chose
scénographique, des grands enfants un peu bé-bêtes et trop vite mis sous les feux de la rampe sans avoir vraiment eu connaissance des règles essentielles d'un métier à part entière. Trop contents d'un succès si soudain qu'il leur parait encore miraculeux. Trop contents d'un argent facile vite gagné.

Souvent si mal encadrés par des néophytes européens convaincus de leur savoir faire et pourtant pétris d'incompétence, par des commerçants peu scrupuleux ou par des artistes africains dont les connaissances en la matière de résument aux poncifs esthétiques marxistes des années 70.

Ce qui veut dire que tout reste encore à inventer dans le domaine du djembé et notamment dans le domaine purement musical. Un jour viendra où apparaîtront les John Coltrane, les Charly Parker, les Dizzy Gillespie du djembé. Patience, ils arrivent...

Le jeu du djembé deviendra un art le jour où les musiciens africains cesseront de se faire piéger par leurs amis occidentaux pleins de bonne volonté mais si acculturés et incompétents dans la chose culturelle et artistique! La «djembéfolie», la «djembé mania», manque cruellement de professionnels et de visionnaires... Le jour où les artistes africains
cesseront de se satisfaire de leur propre caricature.

Le monde entier respectera vraiment le djembé et ses joueurs le jour où il sortira de cette caricature exotique! C'est là le pari des années 2010/2020.

A l'image de cette danse contemporaine africaine qui aujourd'hui explose, enfin sortie des poncifs du ballet néo-traditionnel, instaurés en classicisme, issus de tant d'influences extérieures rarement innocentes, le djembé doit s'émanciper et trouver sa vraie dimension musicale et artistique.

    Les années 70 furent celles de la découverte.
    Les années 80, celles de l'exploration.
    Les années 90, celles de la révélation.
    Les années 2000 seront celles du renforcement.

    Les années 2010 devront être celle de la réalisation...


(c) François Kokelaere
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