Percussions.org

[Pprunet]

bonjour,
je n'ai pas vu le spectacle ANA�S BAMBOU dont vous parlez mais je me demandais si c'�tait pas simplement un autre STOMP (chaise, baton etc...) avec des pulses un peu plus africaines ?
J'aimerais savoir quelle est l'apport d'ANA�S BAMBOU par rapport � ce qui est d�j� fait depuis longtemps par STOMP?
et d'autres parts j'aurais aim� avoir l'avis de Mr kokelaere sur cette institution qu'est STOMP depuis plusieurs d�cennies !
Quelle est selon lui sa valeur rythmique, et aussi sa valeur artistique ?
Que pense t'il de l'architecture des morceaux ? chor�graphie? etc ...
Et pour finir quel peut �tre l'avenir d'un tel spectacle ? jou� tant de fois dans le monde entier, depuis tant d'ann�es ? qui fonctionne par �quipes qui jouent le m�me spectacle dans des continents diff�rents !

[Fran�ois Kokelaere]

Voil� une question fort int�ressante :

D'abord, � propos de Stomp. Ce que je trouve formidable dans Stomp c'est la cr�ativit� des concepteurs anglais. Cette id�e d'utiliser les rythmes avec des objets d�tourn�s de leur fonction premi�re a �t� approch�e des centaines de fois mais pour la premi�re fois, les cr�ateurs de Stomp en ont fait un vrai spectacle. Dans Stomp, la percussion et le rythme ne sont qu'un des �l�ments, un des vecteurs qui fait l'efficacit� du spectacle. Les situations th��trales, la mise en sc�ne, la sc�nographie, les lumi�res, le d�cor sont autant d'�l�ments aussi importants que le rythme. Le souci de Stomp a toujours �t� l'efficacit� dans la pure culture des spectacles de Broadway et c'est aussi pour cela que la formule a tellement bien march� et continue d'ailleurs. Comme tu le sous-entends, le groupe est devenu une institution commerciale �norme puisque jusqu'� quatre �quipes se partageaient le monde avec le m�me spectacle quand n�cessaire (je ne sais pas si c'est encore vrai aujourd'hui mais quand tu visites leur site, les tourn�es sont assez impressionnantes). L'une d'entre-elles jouait � demeure dans un th��tre de Broadway � New-York, une autre faisait les spectacles pour l'Am�rique du Nord, une autre pour l'Europe et une autre pour le reste du monde. Je trouve g�nial que des millions de personnes, dont la plupart ne sont ni musicien, ni danseur, aient pu avoir acc�s � un travail aussi cr�atif et original.

Alors Ana�s Bambou dans tout cela� et il n'est pas question de comparer l'ogre au petit Poucet, mais allons plut�t sur le terrain artistique o� l�, sur le terrain des id�es, nous sommes tous �gaux ! Au-del� du fait que nous avons utilis� avec le groupe des pulsations africaines (mais Stomp aussi d'ailleurs avait ajout� ces derni�res ann�es un Mendiani) nous n'avons jamais cherch� � copier ni Stomp, ni qui que ce soit. Il faut te dire que dans le spectacle que nous avons cr�� � St Dizier, il y a sur 70 minutes de spectacle au moins un tiers de silence. De nombreuses situations th��trales qui s'installent tranquillement sans un son (tout le d�but de la danse des chaises par exemple ou la fin de la danse des b�tons). Et c'est bien �a qui �tait g�nial dans ce projet, c'est que nous n'avions aucune pression artistique et que nous avons pu faire exactement ce que nous voulions quitte � d�stabiliser quelques inconditionnels de la percu et de la danse africaine. A ce propos, je me souviens de mes producteurs am�ricains ou hollandais quand je travaillais avec Wofa ou les Percussions de Guin�e qui faisaient une crise d�s qu'une pi�ce dans le spectacle durait plus de cinq � sept minutes. Ils voulaient que �a change tout le temps afin que les spectateurs restent toujours sous tension! Ils voulaient d'autre part absolument que les spectacles durent deux fois cinquante minutes avec un entracte au milieu pour vendre les CD et les babioles. C'est pour cela que je connais bien la r�gle du jeu d'un "show" comme Stomp et le cahier des charges auquel sont confront�s les cr�ateurs. J'imagine l'�norme difficult� de monter un spectacle si efficace, mais qui reste coh�rent. �a c'est un challenge formidable d'avoir un cadre, une r�gle du jeu aussi stricte car cela t'oblige � aller chercher tr�s loin tes ressources artistiques. Bien s�r, tout cela se fait au d�triment de l'aspect po�tique du propos artistique qui a besoin de temps pour se d�velopper. Et c'est la diff�rence fondamentale entre mon travail et celui d'un show classique, c'est que je ne cherche pas la m�me finalit�. Je vais davantage chercher � faire r�ver le spectateur sans pour autant lui donner tout � manger avec un propos tr�s narratif. Je lui laisse faire la plus grande partie du voyage. Je pense le spectacle dans sa globalit� comme une vague avec ses hauts et ses bas, ses moments de respiration, d'attente, ces situations d�cal�es o� les personnages vivent de fa�on sublim�e ou onirique des conflits, des rapprochements, des tensions. Je dis peu sur sc�ne afin que l'imaginaire du spectateur puisse voyager beaucoup ! Le spectateur devient alors inconsciemment, actif�

La forme m'importe peu. Que l'on joue sur des chaises, une �chelle, des b�tons ou des dununs, cela n'a aucune importance. Ce qui compte, c'est ce qu'on a � dire avec cette forme. C'est le contenu qui m'int�resse. Quand on pousse le bouchon un peu loin tout doit �tre coh�rent et nous avons d� travailler la couleur des dununs, des costumes, des accessoires, chaque mouvement de la lumi�re, ses g�latines, le moindre d�tail de sc�nographie car tout doit �tre hyper coh�rent et le moindre grain de sable peut casser l'homog�n�it� du propos. Quand tout est parfaitement en place, quand le cadre est bien �tabli alors tout semble facile, presque l�ger et l'on a l'impression que les artistes viennent de se rencontrer la veille tellement tout respire. Les heures de travail laborieux en r�p�tition font alors place � une flu�dit�.
Dans cette respiration, tous les niveaux de lecture sont possibles selon l'envie, l'histoire, le parcours, la culture, l'ouverture de chaque spectateur qui peut se raconter "son" histoire. Il y a alors autant de visions du spectacle qu'il y a de spectateurs.
La grande chance avec le groupe d'Ana�s Bambou, c'est que les artistes avaient les outils intellectuels pour comprendre cette d�marche artistique assez radicale et je dois dire qu'ils se sont bien appropri�s le travail et le spectacle. Ce qui n'�tait pas du tour �vident au d�part et nous n'aurions jamais pu pousser aussi loin la r�flexion sans un certain courage et leur �norme disponibilit� intellectuelle car pour effectuer un tel travail, il faut �tre pr�t � tout et surtout � se mettre en danger dans l'enfermement de ses certitudes, il faut �tre pr�t � bousculer ses habitudes et ses r�flexes d'auto-protection, ses peurs et tout le reste. Il faut, quand le spectacle est fini, �tre capable d'affronter le regard de l'autre et toutes les interrogations que soul�ve un propos artistique qui d�range quelquefois au plus profond de soi.