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[Michel Faligand]

Je l'ai écrit à l'auteur : j'ai dévoré son livre en deux jours, au point - ce qui est logique après tout - d'en perdre le boire et le manger - quasiment. En commençant, je tiens à dire aux lecteurs de ces lignes et du livre de Georges Paczynski combien ma motivation de départ et ma fébrilité, constamment entretenue par la lecture, ont été vivaces et incisives. Motivation et frénésie sans doute dues à l'impatience irritée et déçue que l'annonce - malencontreusement plusieurs fois différée - de la parution de cet ouvrage avait fait naître en moi - impatience entretenue aussi par la parution, çà et là, de quelques bonnes feuilles - ô combien prometteuses !

Sollicité par l'urgence des besognes indispensables à la fabrication de Percussions, j'ai rangé le livre de Paczynski - à portée des yeux, à portée des mains quand même - différant à mon tour la rédaction de la chronique qu'une lecture aussi exaltante m'avait fait esquisser. C'était cet été.

Pour être à nouveau aussi intimement habité qu'il y a cinq mois par ces 352 pages, j'ai relu entièrement et lentement mais encore sans presque m'interrompre : Une Histoire de la Batterie de Jazz. Titre que certains trouveront trop modeste, titre dont je modifierai le premier mot sans hésiter pour parler de "L" ‘Histoire de la batterie de jazz. Car nous sommes là en train de lire "L"‘Histoire encyclopédique de la batterie de jazz, dans sa version définitive - d'ailleurs, n'ai-je pas déjà pris l'habitude de dire en parlant du livre de Georges Paczynski : « Le Paczynski », comme on dit "Le Larousse", "Le Grove", ..."La Bible" ?

Aussi me suis-je autorisé le plaisir de la métaphore "évangélique" que constitue le titre de cette rubrique. Mais le livre de Georges Paczynski, canonique lui aussi, n'a qu'un seul architecte, auteur d'une histoire dont les sources et leurs commentaires - vulgate de la musique afro-américaine improvisée - ne susciteront aucune attaque des philistins, aucune suspicion des rationalistes. Au contraire, et comme Saint-Jean, notre Saint-Georges "aura rapporté avec émotion ses souvenirs personnels, son but aura été de répondre aux erreurs qui se répandaient en son temps et de conduire les amateurs vers la Vérité en écrivant ce qu'il a vu, ce qu'il a lu, ce qu'il a écouté, ce qu'il a cherché, ce qu'il a joué, ce qu'il a discuté, ce qu'il a relevé" Quête alentie qui se traduit par un livre lumineux.

Avant d'aller plus avant, je veux dire que finalement Georges Paczynski n'a pas à regretter les hésitations éditoriales qui ont retardé la publication d'un travail si considérable et, par moments même, ont dû assombrir son horizon. Car avec Outre Mesure, Georges a trouvé l'éditeur idéal. La mise en page témoigne d'un souci du détail qui, en fait, est un souci du confort du lecteur. Une police du type times a été utilisée pour composer des pages judicieusement calibrées et interlignées, judicieusement pourvues d'une marge extérieure destinée à recevoir les notes marginales au moyen d'un signe de renvoi, pictogramme original et efficace. La mise en page répartit avec bonheur textes, photos, légendes d'icelles et exemples musicaux. Des phrases-clés sont discrètement graissées. Devant les lecteurs, je veux féliciter l'équipe éditoriale qui a fait preuve d'un créativité vraiment fonctionnelle, esthétique et plaisante ; ce qui ne va pas sans risque... On comprendra la qualité du travail quand on saura le ridicule petit nombre de coquilles typographiques oubliées : moins de dix ! L'iconographie est aussi pour moi un élément d'admiration ; elle est si abondante, si parlante qu'elle pourrait - dans un tiré à part - raconter elle aussi l'Histoire de la batterie de jazz. L'éditeur se devait de faire le maximum dès les premières pages, aussi livrent-elles une préface d'Alain Gerber : "Le Gai Savoir de Georges Paczynski" , préface dont je me garderai bien de dire les vertus, les lecteurs de Percussions sont aussi lecteurs d'Alain Gerber.

Le moment est venu de consulter la table des matières. J'allais omettre de dire que le livre qui nous occupe en ce moment est le tome 1 (Des origines aux années swing).

Préface - Avant-propos - I. Les tambours de l'Afrique ancestrale - II. L'Eglise, Satan, le tambour et la guerre (de Rome à la fin du Siècle des Lumières) - III. Le tambour, instrument soliste (du 1r Empire au XXe siècle) - IV. Du tambour à la batterie de jazz (de l'esclavage aux premiers batteurs) - V. La Nouvelle-Orléans (de "Papa Jack" Laine à Baby Doods) - VI. Du New Orleans à l'Ere Swing (De Zutty Singleton à George Stafford) - VII. Les débuts de l'Ere Swing (de Kaiser Marshall à Jimmy Crawford) - VIII. L'Ere Swing (de Chick Webb à "Loin des stars") - IX. Vers les temps modernes (de Jo Jones à Buddy Rich) - X. Conclusion - Annexe I - Annexe II - Les composantes de la batterie de jazz - Discographie - Bibliographie critique - Glossaire - Index général. 22x18 cm. XIV-352 p. ISBN 2-907891. Prix : 33,54 €.

Ce que cette liste de petit magasinier ne dit pas, c'est que le musicien-pédagogue-historien Georges Paczynski est aussi un écrivain, un styliste, un humaniste et cela aussi fait sa grandeur. On sent que la syntaxe et le vocabulaire - loin de toute pédanterie - sont au service d'une pensée rigoureuse et familière de la démarche historique. Georges n'a pas peur des phrases courtes qu'il introduit de manière grammaticalement diversifiée. Sa maîtrise de la combinatoire des éléments de la conjugaison - un comportement stylistique qui se perd - permet au lecteur de bien se situer dans la chronologie et de n'être pas bousculé, voire désarçonné, par des remontées dans le temps, des apartés, des incidentes...

Notre auteur a su éviter les pièges de la répétition que ce genre d'ouvrage glisse en général sous la plume du rédacteur pressé et/ou naïf. Oui ! Gerber a bien raison de parler du "Gai Savoir de Georges Paczynski.". Par exemple, lisez et relisez la conclusion de ce premier volume et dites-moi si comme moi vous ne vous êtes pas arrêtés après certaines phrases pour vous en laisser pénétrer comme on le fait d'un vin remarquable et généreux ? C'est une véritable et belle conclusion, une de celles qui emmènent son lecteur sur un petit nuage. C'est du grand Art.

Après cette relecture, je veux dire mon admiration pour le travail de l'historien. Les étapes chronologiques des faits déterminants sont toujours définies avec clarté, avec simplicité, en bref : avec les mots qu'il faut. On comprend bien que notre homme n'a pas dû ménager les hypothèses (plus ou moins raisonnables), les recherches (bénédictines), les comparaisons (obstinées), les confrontations (amicales) - Si l'on s'arrête davantage aux travaux du musicologue, on sera comblé tant l'étude des grands courants musicaux qui ont fait le jazz est menée avec une vision du passé perspicace, éclairante et constructive dans ses relations avec la batterie ; tant l'analyse des styles des grands batteurs, des "olvidados" aussi est conduite avec la méthodologie de quelqu'un qui sait aller au fond des choses, loin des idées reçues et sans que jamais le scalpel musical qu'il manie souverainement écope également les bons et les mauvais moments de la vie quotidienne du musicien étudié. Quand, au moyen de relevés nombreux et très pointus, souvent donnés avec une partie de piano ou d'orchestre (bravo !), Georges s'arrête sur les structures musicales, sur les thèmes et leurs traitements par les batteurs, là encore "notre coeur fait boum !"

Pour mieux montrer l'importance de dizaines de "paroles de Saint-Georges" , je devrais relire l'ouvrage et noter au fil des pages ces "dits" d'expérience et de sagesse pour en constituer une sorte d'évangéliaire, de livre de la "bonne nouvelle".

Après tout ce que je viens de dire qu'on ne s'attende pas de la part de notre auteur à un discours neutre et prudent, j'ai dit qu'il n'a cure des idées reçues, des radotages. Que chacun, en le lisant, réagisse à la mesure de ses goûts et de ses connaissances !

L'appareil critique qui termine ce premier volume est remarquable. Il contribue donc à faire de cet ouvrage un outil unique, sans équivalent dans le monde aujourd'hui, un ouvrage dont j'espère bientôt être en mesure de signaler plusieurs traductions et qui, en attendant, doit prendre place dans toutes les bibliothèques.

Je vais conclure à regret parce que je pourrais encore vous parler de ce livre pour moi maintenant compagnon inséparable. Grâce à lui, l'amoureux fou de jazz que je suis depuis plus de soixante ans a revécu le parcours initiatique que tous les jazzmans, et particulièrement les batteurs, l'ont aidé à faire.

Georges, merci pour ce fameux bouquin ! Comme Nikolaus Harnoncourt conseille de le faire : vous avez su oublier votre savoir pour le transformer en émotion. Merci.

© 1998 Michel Faligand

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Première publications de ce texte : Percussions n° 55