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Bon voyage monsieur Alex

 
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François Kokelaere
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MessagePosté le: 12 Oct 2001 22:40    Sujet du message: Bon voyage monsieur Alex Répondre en citant

A propos de « Percussions du Burkina Faso » par Alexandre Cellier
Paru aux Editions Nouvelle Planète (Suisse) en 1999.

A la lecture de ce petit fascicule, je ne peux m'empêcher d'être à la fois ému de tant de compassion, d'amour de son prochain, de gentillesse et atterré par tant de naïveté bien pensante. Ce genre d'ouvrage me laisse perplexe car au fur et à mesure qu'on le décode, qu'on lit entre les lignes, qu'on le resitue dans son contexte, il apparaît comme un goût de déjà vu et de déjà lu.

Décodons et pour cela, rien de tel que de commencer par la fin, par la conclusion. Ah, ces conclusions ! Pourquoi faut-il toujours des conclusions qui viennent foutre par terre nos illusions. Pourquoi les idéalistes bon teint ne se contentent-ils pas de nous narrer leur voyage sans nous livrer leurs états d'âmes, sans se prendre pour des ethnomusicologues de supermarché ou des « ethnosociologues » de comptoir? On s'est dit en parcourant l'ouvrage en question : bon, il est un peu approximatif mais il est sympa ce gars. Il les aime ses africains, il participe au grand échange mondial des cultures. Bon, il est un peu caricatural dans le passéisme, dans sa vision de «l'authentique» mais les photos sont belles. Il n'est pas méchant mais ils ne sont jamais méchants. Il est sincère: ils sont toujours sincères. Ils tombent des nues, ils sont même blessés, les pauvres petits enfants du grand Capital, quand on ose leur dire qu'il participe, malgré eux, au formidable malentendu de notre relation à l'Afrique. Alors ils se retranchent derrière leur naïveté et leur humanisme. Facile...

Bien sûr que la Suisse est «l'un des pays les plus riches du monde et le Burkina, l'un des plus pauvres» mais que faisons-nous des pauvres ... Suisses qui eux aussi n'attendent qu'une chose: que l'on s'intéresse à eux. Mais c'est pas très exotique un pauvre ... Suisse. Comme si la différence entre ces deux pays n'étaient qu'un problème de richesse ? Et l'histoire, mon cher ? Si je comprends son raisonnement, c'est nous les « pauvres sous développés de la communication, de la famille, de la solidarité » et les pauvres petits africains sont en fait très riches de nos propres lacunes. Tu parles, ce qu'ils veulent nos copains africains, c'est manger tous les jours et pas qu'on leur donne des leçons sur « la richesse de leur culture ». Mais pas « d'histoires d'argent » entre nous, en bon franciscain de base ce qu'il veut, c'est une relation humaine et pourquoi pas, spirituelle. Dès que le gars retournera en Suisse retrouver sa flûte de Pan (il pose en quatrième de couverture avec une flûte de Pan à la bouche, si, si...), il bouffera à sa faim et les africains resteront dans leur précarité quotidienne. Il s'empressera de capitaliser son voyage sous quelque forme que ce soit: financière, valorisation personnelle, etc. Facile d'avoir des vues sur la comète quand on est né du bon côté...

«Que pouvons-nous faire pour eux?» «Quand on veut les aider... on crée des assistés». Eh bien mon gars, si c'est ça ton problème, faut pas les aider, faut travailler avec eux tout simplement. Qu'ils gagnent de l'argent et puissent en faire profiter leur famille, leurs amis... Évidemment que rien n'est plus avilissant que l'assistanat. Mais nous nous y retrouvons encore et toujours dans cet assistanat qui nous permet d'exister, de trouver une raison de vivre, de réaliser un palliatif à la médiocrité de nos vies occidentales, de soulager notre dette «karmique» envers ce peuple. Quel est le choix ? Vivre dans la misère loin du monde ou bouffer à sa faim dans la mondialisation. Eh oui, pas facile le choix! Ou on les laisse dans leur «authenticité» et l'Afrique crève de son immobilisme ou on l'accompagne dans le grand cirque mondial qui de toutes façons, ne nous a pas attendu pour déferler sur elle depuis déjà longtemps. A vouloir arrêter le temps en Afrique, on risque de l'enfermer dans une vitrine dont nous nous empressons de jeter les clefs au risque de devenir voyeur. Il y a un côté "safari moderne" dans cette propension qu'ont les blancs à utiliser l'Afrique comme leur terrain de jeu, un côté «Paris-Dakar». N'est ce pas une forme encore plus pernicieuse de néo-colonialisme ? Pourquoi les africains n'aurait-il pas droit au progrès technologique, à la modernisation, à l'instruction ? Il est vrai que nous préférons les voir «authentiques», dans leur misère, pauvres, affamés, analphabètes mais dignes. Refusant le grand capitalisme triomphant pour célébrer des vraies valeurs « authentiquement traditionnelles ancestrales ». Ce que nous sommes parfaitement incapables d'assumer nous-mêmes. Combien d'occidentaux ont-ils laissé le douillet confort européen de leurs cours de percussion pour aller s'installer définitivement dans cette Afrique mythique qu'ils idéalisent ?

Combien d'occidentaux ont-ils laissé le confort de la ville pour aller vivre sans eau, sans électricité, sans voiture, sans téléphone, au fin fond des montagnes, mêmes Suisses ?

«Vivre pauvre dans la liberté plutôt que riche dans l'esclavage» comme disait un autre grand idéaliste qui a mené son pays à la ruine. Ne serait-il pas temps de chercher d'autres alternatives loin des clichés éculés de l'histoire ? Ne sommes-nous pas en train de continuer à l'écrire, avec la plus parfaite naïveté bien sûr, cette même histoire qui n'en finit pas de bégayer ?

Pourquoi derrière les sauveurs de l'Afrique se cache-t-il toujours des nantis coupables des actes de nos ancêtres (et quand je dis ancêtre, j'inclue la grande culpabilité judéo-chrétienne)? A force de traîner le lourd fardeau de leur histoire, les enfants du grand Capital n'en finissent plus de se sentir coupables (lire «le long sanglot de l'homme blanc» de Pascal Bruckner).

Quand au «complexe d'infériorité des villageois qui sous-estiment leur culture», mon cher, nul n'est prophète en son pays et c'est un problème universel. Évidemment qu'une «revalorisation d'une culture» a des effets pervers mais la mort d'une culture est encore pire. Au moins dans la perversité de la revalorisation il y a un espoir que les choses vivent et
renaissent mais dans l'extinction, où est l'espoir ?

Avec sa bouille de doux géant rêveur et romantique, le bel Alexandre et sa flûte de Pan me fait penser à Tintin au Congo qui pose avec les bons sauvages. Instructif certes mais très approximatif, avec plein d'avis sur tout et sur rien, avec plein d'humilité et tellement de cette suffisance inconsciente que savent arborer les occidentaux quand ils parlent de l'Afrique, avec l'insolente compassion déconcertante des privilégiés, avec des velléités insupportables de pédagogie, de prosélytisme, de celui qui veut nous faire à tout prix partager ses émotions, ses impressions de voyage. Comme les missionnaires d'un autre âge voulaient évangéliser les bons sauvages pour les sauver des flammes éternelles de l'enfer. L'histoire est décidément un éternel recommencement.

Cet ouvrage ne nous apprend rien des rapports complexes que nous entretenons avec l'Afrique. Bien au contraire, il nous enferme encore un peu plus dans nos certitudes et dans notre vision caricaturale de celle-ci. (ils sont cools ces burkinabé, en Guinée ont aurait bouffé le petit blanc et sa charmante compagne à la sauce feuille).

Il n'en reste pas moins un superbe reportage photo et un panorama assez complet des instruments pratiqués au Burkina. Souvent les commentaires sont de trop, réducteurs et incomplets mais bon, c'est la limite du dilettantisme.

Le CD est sympa lui aussi, a l'image du bonhomme, (si, si, il est sympa le père Alex, un peu sur une autre planète mais sympa!). Ca se barre dans tous les sens mais bon... Il faut le prendre comme une illustration sonore du texte et bien écouter les pièces quand elles sont annoncées sur le livret.

Il est plein de petits moments sympas, chaleureux, quelquefois très faciles mais bon... C'est dans ce registre qu'il est le meilleur. Quand il est lui-même: un amoureux du Burkina et de sa culture. (qu'est-ce qu'on s'est marré avec Fatouabou dans l'avion entre San José et Dallas, quand nous avons écouté les frères Coulibaly chanter dans leur faux Soussou «É bébi o» à la fin du morceau n°5, un morceau de Fodé Marseille Youla paru dans les années 70 avec son groupe «Africa Djolé»). Ils sont malins les lascars. Et puis dis-donc, qu'est-ce qu'il se pame sur les frères Coulibaly le père Alex, ils ont dû le marabouter. Je ne sais pas s'il a vraiment les yeux en face des trous et j'ai l'impression que l'affectif et l'émotionnel prennent souvent le pas sur son objectivité. C'est d'ailleurs le problème de cet ouvrage: le manque général de rigueur. Mais ce n'est qu'un carnet de voyage et il faut le prendre comme ça, n'est-ce pas...

Autre surprise quand nous avons entendu un extrait du volume deux des Percussions de Guinée (la pièce de kryin n°22). Je n'ai jamais entendu dire que le sieur Alex ait demandé une quelconque autorisation d'utiliser ce morceau. Ouais, bon, c'est pas grave, c'est vrai que chez les babas-cools tout appartient à tout le monde et pourquoi s'embarrasser d'avoir le minimum de respect et de politesse pour le travail des autres. Il était pas très content le père Fatouabou et il a même dit (ah, ces professionnels!) que cette façon de faire lui semblait quelque peu cavalière.

Reste la question subsidiaire qui sauverait notre aventurier sur la ligne. Nous espérons que toutes les royautés de cet ouvrage sont intégralement versées aux africains, même les frais occasionnés par le voyage. Nous n'oserions imaginer que le flutiste se soit remboursé sur le dos des africains qui lui ont «tellement appris», qui l'ont «tellement enrichi» humainement, au risque de se voir taxer de participer d'encore plus près, à la formidable hypocrisie latente des enfants du grand capital ?

Bon voyage Monsieur Alex, bien le bonjour à Milou...

François Kokelaere
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