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Jimmy B · Inscrit le: 12 May 2002 Messages: 2788 Localisation: Rhythm Land

Dès qu'on parle de batterie, des clichés arrivent et c'est souvent les mêmes noms qui font surface. Pourtant, à regarder le niveau et la qualité artistique de nombreux batteurs tous styles confondus, certains travaillent à l'ombre des média, mais caressent l'art avec un tact indéniable et sensible.

Le parcours du batteur Ahmad Compaoré est de cette trempe là. Chemin fait de récompenses et de sueurs artistiques, où les gouttes d'inspiration sont proches d'une pluie diluvienne, Ahmad vient de décrocher une bourse (Lauréat CulturesFrance « Hors les Murs 2008 ») pour repartir à l'aventure dès le mois d'octobre. Après L'Inde (Lauréat du programme "Villa Médicis Hors les Murs 2005 " de l’AFAA), il va battre la campagne du côté du Japon. Premier contact avec la terre nippone, il avait déjà participé en 1995, avec le percussionniste japonais Makoto Yabuki*, à la création "Bamboo Orchestra"de Marseille, sa ville de résidence.

Ahmad Compaoré est né à El Médina El Menawara en Arabie Saoudite et réside à Marseille depuis longtemps. Il s’est vite imposé dans le microcosme du jazz (contemporain) et des musiques métissées. Très apprécié dans la bulle des musiciens actifs, on l’a ainsi vu au côté de Vincent Ségal (violoncelle), Fred Frith (guitare, basse, violon, xylophone), Hakim Hamadouche (voix, mandoluth), Karima Mansour (danse), en passant par Marc Ribot (guitare) et Jamaaladeen Tacuma (basse), et dans de nombreux projets où la recherche et l’aventure musicale sont prépondérantes. Faisons plus ample connaissance avec un batteur dont on risque de reparler souvent.

Que penses-tu du rapport entre Internet et la musique ?

Internet est un bon moyen de se faire connaître et de découvrir d’autres artistes : il n’y a qu’à voir le succès rencontré par des sites comme MySpace ou YouTube, grâce auxquels on peut rapidement se construire un bon réseau professionnel avec des contacts et « amis » dans le monde entier.

De plus en plus de gens téléchargent gratuitement des morceaux sur Internet, ce qui nuit à la vente des disques, mais il faut savoir que le MP3 n’aura jamais la qualité sonore du CD. Internet s’avère le moyen le plus efficace et le plus universel pour la diffusion d’une œuvre et personnellement, je ne m’en plains pas, bien au contraire…

Néanmoins, pour ma part, je pense que le CD reste le meilleur support pour appréhender et s’approprier l’univers d’un artiste : au-delà du son, la jaquette et le livret, par exemple, apportent une connaissance non négligeable du concept créatif de l’artiste et peuvent être une source d’inspiration importante ; enfin, une discothèque « physique » est sécurisante et conviviale.

Quel album emportes-tu en voyage ou écoutes-tu avant de dormir, et qui symbolise le disque idéal à tes yeux ?

“Beauty is a rare thing” d’Ornette Coleman: je l’écoute presque tous les jours, il symbolise pour moi la quintessence du travail d’improvisation qui est une démarche complexe, très personnelle et intime. Quand j’entends Ornette Coleman, je suis ébloui par la modernité de son langage et son écoute particulière des autres musiciens, et c’est tout à fait ce que j’essaie d’exploiter dans mes collaborations avec Marc Ribot, Barre Phillips ou Butch Morris.

S’il fallait décrire une journée type du batteur Ahmad Compaoré ?

La pratique de la batterie requiert une certaine discipline et une bonne hygiène de vie car c’est un instrument très physique : en cela, Elvin Jones et Buddy Rich sont mes modèles.

Les arts martiaux ont été un bon apprentissage, car ils m’ont aidé à canaliser mon énergie, à acquérir une bonne posture et à contrôler ma respiration: j’essaie autant que possible d’appliquer ces principes à la batterie et c’est vrai que j’ai besoin de me dépenser dans une activité sportive, que ce soit la marche ou la natation.

Pour moi, la nuit est le moment le plus propice au travail intérieur et à l’inspiration. Quand mon emploi du temps le permet (en dehors des répétitions, des concerts et des ateliers), je pars m’isoler dans mon studio et je m’exerce 3 ou 4 heures à parfaire ma gestuelle, car « quand le geste est bon, le son est bon ».

Quel(s) batteurs(s)/percussionniste(s) actuel(s) retient (retiennent) ton attention et tes oreilles ?

Joey Baron se situe au carrefour de l’ancienne et de la nouvelle génération. Je l’ai revu en juin 2008 lors d’un concert avec John Zorn : son jeu est toujours aussi fulgurant, à la fois simple et rempli d’humilité, et sa musicalité n’a pas pris une ride. Il garde une énergie juvénile et il sait transmettre son bonheur de jouer, qui me correspond bien, je pense… Quel grand batteur !

Comme percussionniste, je citerai Cyro Baptista, pour les mêmes raisons.

Enfin, en examinant ton parcours musical de plus prêt, on se rend compte que tu as travaillé avec de nombreux artistes, dans des contextes totalement différents. Quelles rencontres te laissent les plus beaux souvenirs ?

En premier lieu, Fred Frith. Il m’a retenu pour participer au projet « Helter Skelter », l’opéra-rock de François-Michel Pesenti, dont il assurait la direction musicale. A l’époque, j’avais 22 ans, je pratiquais la batterie depuis 7-8 ans au sein de diverses formations de styles très variés. Ma rencontre avec Fred a été une véritable révélation, tant sur le plan humain que musical : il a bouleversé mes idées reçues (dues à un certain formatage), m’a fait prendre conscience des multiples possibilités de l’improvisation et m’a amené à comprendre ce qu’était un silence. Ouvrir ses oreilles : toute l’importance était là. Un formidable bond vers une autre planète…

En second lieu, le guitariste Marc Ribot, que j’ai rencontré en 1991 au Festival International de Jazz de Saalfelden (Autriche). C’est un excellent musicien et compositeur, d’une grande sensibilité, au jeu très musical et spontané. A mes yeux, il est la synthèse parfaite entre musique populaire (Tom Waits) et musique savante (John Zorn). C’est la raison pour laquelle j’ai souhaité qu’il collabore à mon prochain album : il y apporte la touche « trash » et punk indispensable que je cherchais.

© Jimmy Braun – Août 2008

Site Internet

http://www.myspace.com/ahmadcompaore

*Makoto Yabuki : Né au Japon, Makoto Yabuki a étudié les musiques traditionnelles d’Asie et participé à divers projets musicaux et théâtraux à Tokyo. Spécialiste des instruments en bambou, il a fondé au Japon, puis à Marseille le Bamboo Orchestra, instrumentarium issu de la tradition asiatique, favorisant la rencontre de la tradition, de la création et de la pédagogie.