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[François Kokelaere]

François Kokelaere pour Batteur Magazine en Septembre 95

Adieu Noumody!

Noumody Keïta, chef-tambour de l'Ensemble National des Percussions de Guinée nous a quittés le jeudi 22 Juin 95, des suites d'une courte maladie, à l'âge de 47 ans.

Avec le départ de Noumody, c'est un des tout meilleurs " djembé fola " qui s'en va mais c'est aussi l'annonce de la fin d'une époque. Il appartenait à cette génération de musiciens recrutés très jeunes par les structures de l'ancien régime marxiste de Guinée et formés à la dure école des ballets nationaux. Dès l'âge de 18 ans, il entre dans les Ballets Africains, le grand ballet national guinéen, avec lequel il parcourra le monde pendant plus de vingt ans.

En 1987, il est retenu parmi les sept percussionnistes qui formeront le prestigieux ensemble des Percussions de Guinée. Dans les années 90, on lui reconnaît quatre alter-ego en la présence de Famoudou Konaté, Fadouba Olaré, Mamady " Kargus Keïta " et Gbanworo Keïta. Cinq " djembé fola ", tous guinéens, qui firent l'unanimité à travers le monde; une génération dont chacun des membres, était doué d'une personnalité musicale bien marquée: un style, un jeu particulier bien distinct; des musiciens qui possédaient un art incomparable de se promener sur la polyrythmie sans jamais donner l'impression de charger le rythme; une propreté du son et une aisance sans pareille; une intelligence de l'art de faire " respirer " la musique.

Un charisme exceptionnel

En ces temps où le djembé se vulgarise à travers le monde, Noumody était le dépositaire incontesté d'une certaine façon de jouer. Doué d'un charisme exceptionnel, quelques notes lui suffisait à capter son auditoire médusé. Un solo de Noumody vous " scotchait " à votre fauteuil et le connaisseur avait soudain le souffle court, des frissons dans le dos, tellement l'impression était forte. En tant que chef-tambour, il prenait le solo en dernière position; il laissait ses collègues montrer leur savoir faire et attendait patiemment que vienne son tour et là, tel un prédateur, en quelques notes, avec un énorme sourire entendu, il imposait sa suprématie technique et musicale. En quelques phrases évidentes, la tension montait d'un cran, tout en progression jusqu'au paroxysme de sa vélocité qui faisait se lever les salles du monde entier. Puis, d'un blocage parfait, il retrouvait la polyrythmie et reprenait l'accompagnement. Doué d'un talent hors du commun, il savait être aussi un très grand professionnel, intraitable avec les retardataires; il était chef-tambour et entendait qu'on le sache et qu'on le respecte comme tel.

Une référence en la matière

Pivot des Percussions de Guinée, craint et respecté de tous, doué d'une personnalité décidée, il était l'emblème d'un ensemble de musiciens dont les énergies étaient véritablement accordées et qui était une référence en la matière.

Une certaine forme de cohérence qui laissait peu de place aux concessions incontournables qu'exigent la scène et le marché international. Il avait su resté lui-même: un homme simple qui savait ce qu'il voulait et surtout, ce qu'il ne voulait pas. Professeur recherché, il savait aussi enseigner et quand un de ses élèves admiratif lui disait qu'il était l'un des meilleurs au monde, il répondait modeste, qu'il connaissait " un peu " le djembé mais qu'il lui restait fort à faire pour le maîtriser! Il n'hésitait pas à démystifier son art qu'il considérait avant tout, comme l'accumulation d'une expérience et d'une énorme pratique personnelle.

Une génération qui passe

A l'heure, où trois des plus grands " djembé fola " ont dépassé la cinquantaine, où les plus jeunes tardent à s'affirmer, trop tôt sollicités pour faire carrière à l'étranger sans avoir pu disposer de la longue formation des anciens, où les meilleurs subissent les énormes pressions réductrices du grand show-business international qui demande toujours plus de spectacle au détriment de la qualité musicale, où les Percussions de Guinée, complètement destabilisés par l'absence de Noumody n'arrivent plus à retrouver leurs marques et leur raison d'être, tous les signes sont là de la fin d'une époque. Bien sur, il reste quelques bons batteurs en Afrique de l'Ouest mais combien disposent du bagage musical, culturel et psychologique pour affronter les dures lois du métier de musicien international? Combien disposent du charisme et de la personnalité d'un Noumody, d'un Famoudou, d'un Kargus, d'un Gbanworo, d'un Fadouba?

L'avenir du djembé

L'instrument est en pleine mutation et les rythmes, les polyrythmies, de part leur rayonnement extraordinaire au niveau international, ont une tendance manifeste à s'appauvrir mais, de nouvelles pulsations, de nouvelles façons de jouer, issues de la rencontre entre l'Afrique et l'Occident, apparaissent. On peut espérer que les pays africains concernés, prennent enfin en considération un art si représentatif et intrinsèquement lié à la culture spécifique de l'Afrique de l'Ouest.
Souhaitons que des pays comme la Guinée continuent et accentuent leurs efforts autour des percussions en termes de préservation du patrimoine, d'encouragement et d'encadrement des jeunes afin de dynamiser un secteur encore bien vivant.

Souhaitons que les jeunes percussionnistes africains prennent un peu plus le temps d'étudier auprès de leurs anciens avant de s'envoler trop vite vers l'apparente facilité d'une carrière internationale souvent perturbée par l'absence d'un réel encadrement professionnel.

Noumody Keïta est né en 1948 à Kouroussa, Guinée et décédé le jeudi 22 Juin 95 à Conakry.

Discographie

" Ensemble National des Percussions de Guinée "
Buda Musique-Paris - Collection " Musique du Monde "
Volume I - Réf: 82501 et Volume II - Réf: 92586[/b]